Je ne veux pas réduire les tatouages à de l'art.
[LA VIE EN SHISEI]
Au début, je n'avais aucune prétention.
J'aimais simplement le shisei et je voulais en vivre.
Je devais donc développer mes compétences,
ce qui signifie que je devais travailler dur.
Pendant mon travail, le shisei m'a appris la vie.
Les clés de la réussite pour un beau shisei sont
premièrement, le dessin.
Sans le dessin, on n'accède pas à l'étape suivante : le contour.
Sans un contour précis, on n'accède pas à l'étape suivante, qui est l'ombrage.
Une fois seulement le contour et l'ombrage terminés, la couleur peut être appliquée.
Ces étapes sont essentielles pour obtenir un shisei parfait.
Maintenant comparons la vie à ces étapes.
Premièrement, le contour est un peu comme un plan de vie.
Il faut clarifier ses idées.
Chaque coup d'aiguille compte, comme chaque jour, chaque seconde de votre vie.
Négligez une seule seconde, ou un seul coup d'aiguille
et il en résultera des lignes imparfaites.
Ce qu'on peut apprendre ici,
c'est qu'il est important
de chérir ce moment.
Ces moments qui s'accumulent pour former une minute, une heure, un jour, un an ou plus.
Chérir chaque coup d'aiguille, et chaque seconde de la vie.
À travers cette accumulation,
on améliore naturellement ses compétences et on acquiert plus de connaissances.
Par connaissances, je veux dire
qu'il faut étudier pour améliorer ses dessins, n'est-ce pas ?
À travers ce processus, on engrange des connaissances.
À travers les connaissances, on acquiert de la sagesse,
ce qui permet de s'améliorer.
C'est le processus naturel du "Shu-ha-ri"
[Shu-ha-ri] Un dicton affirmant que les étudiants doivent se confronter à leurs maîtres puis à eux-mêmes pour atteindre la véritable maîtrise.
"Shu" ou "protéger", signifie apprendre de son maitre.
Apprendre la tradition et la préserver.
Mais simplement la préserver ne suffit pas
si on veut qu'une culture vivante s'épanouisse.
Le conservatisme entrave l'évolution.
Pour évoluer, il faut se détacher de ce qu'on a appris.
Ce n'est pas de la trahison.
On dit : "Dépasse ton maître."
C'est le "ha", pour "casser".
Après être passé par "shu" et "ha",
il faut se transcender soi-même.
Je ne l'ai pas encore fait.
Le "Ri", c'est pour "transcender".
Si je peux atteindre ce niveau,
ou si quelqu'un y est déjà parvenu, je ne sais pas.
Je pense que je suis toujours en plein dans cette rupture.
Nous allons utiliser la déesse Kannon.
Quel coté est le mieux ?
C'est tellement pratique de nos jours.
Avant nous n'avions pas de photocopieuses
donc nous devions tout dessiner en grand. Quelle perte de temps.
Les étapes non productives sont importantes.
Dans tout.
Quand les artisans prennent des raccourcis pour apprendre,
ils n'apprennent que la moitié de ce qu'ils auraient dû.
Ne pas prendre de détour les empêche d'apprendre.
Plutôt que de suivre une courbe,
ils vont tout droit.
La trajectoire d'apprentissage est trop courte.
Dans le passé, on prenait un long détour et on apprenait un tas de choses.
Ces choses étaient très importantes.
Si vous avez la compétence, vous pouvez dessiner la même image. Mais le résultat ne sera pas le même.
Il manquera l'essence.
Les professionnels le remarquent tout de suite.
Je ne peux pas vraiment l'expliquer, mais les artisans le savent d'un simple regard.
Je pense qu'on peut dire que l'essence est propre à chaque artiste.
il ne s'agit pas d'être bon ou mauvais.
Parfois, les copies sont techniquement meilleures
que le shisei original.
Mais la copie manque de l'essence insufflée à la version authentique.
Donc ce n'est pas à propos de la technique, mais de la présence ou de l'absence d'essence.
Votre maitre a été Horiyoshi I ?
Oui.
Quand je lui posais une question, il ne répondait que "hmmm".
Comme ça : "hmmm."
C'était à moi d'interpréter ce qu'il essayait de dire.
"Hmmm ?" ou "hmmm ..."
Il y a différents tons.
Je me suis entrainé sur mes jambes. Puis un jour, il a enfin dit : "Tu essayes".
Le plus intéressant, c'est les mythes et les légendes.
Sun Wu Kong n'a pas existé, mais on le dessine
comme si c'était le cas. Tout comme les dragons.
Le portrait réaliste de quelqu'un qui existe ne fonctionne pas vraiment en shisei.
Ils doivent être représentés comme des êtres légendaires.
que les légendes aient l'air vrai et que les gens aient l'air de légendes, c'est ça un bon shisei.
Quand on m'interroge sur le résultat final,
je réponds que je n'en sais rien.
Je ne sais pas non plus comment l'image sera placée sur le corps.
Je ne le saurai pas tant que vous ne vous tiendrez pas face à moi.
Chaque moment compte.
Tout est une question d'inspiration.
Si je dessine un croquis à l'avance, je perds cet instant magique.
Donc je ne prévois rien.
C'est comme ça qu'on fait un travail intéressant.
Mais ça veut aussi dire qu'il faut avoir suffisamment de savoir pour aller de l'avant.
Même un idiot peut bien dessiner s'il s'entraîne.
Mais le savoir ne vient que des livres.
Il y a quelques livres qui contiennent des mensonges.
Il faut lire jusqu'à ce que vous puissiez discerner le vrai du faux.
Je me concentre sur le shisei lui-même plutôt que sur le client.
Je ne m'occupe pas de la personnalité du client ni de ses goûts.
Un shisei doit rester fidèle à son modèle.
Si je pense trop au client, je serai incapable de progresser.
Mais je leur demande sur quelle partie du corps ils veulent leur shisei.
Sinon, ce serait comme si j'en faisais totalement abstraction.
Mais c'est là que je trace la limite.
Au delà, j'ignore le client et même moi-même.
Mes mains bougent spontanément.
Disons que je fasse des vagues.
Si je suis les contours d'un dessin,
je suis incapable de dessiner spontanément.
Il faut libérer son esprit.
C'est pour ça que chaque moment compte.
Les gens se font des shisei pour différentes raisons
mais le réel attrait, c'est d'être capable
d'exhiber sa virilité.
Sa fierté en tant qu'homme.
La flatter.
L'affirmer.
Je pense que c'est ça.
Si vous ne pouvez pas supporter la douleur, vous n'êtes pas un homme.
Je n'exclue pas les femmes,
mais je ne pense pas que les femmes se fassent des shisei pour flatter leur féminité.
Les femmes font ça parce qu'elles trouvent que c'est joli ou cool.
J'imagine que ça leur donne l'image de filles rebelles.
Mais pour les hommes,
si on ne tolère pas la douleur,
on n'est pas un homme, n'est-ce pas ?
on ne peut pas abandonner en cours de route.
Il faut dépasser la douleur physique en puisant dans votre force mental.
C'est aussi simple que ça.
Dépassez-vous, ou ne le faites pas.
À l'origine, les jeunes préféraient les petits tatouages américains.
Mais ils s'en sont vite lassés
et ont commencé à s'intéresser au shisei japonais.
Ils ont voulu un arrière plan dans le style shisei
pour pouvoir connecter leurs petits tatouages dans un style japonais.
Aujourd'hui, le shisei japonais a traversé les océans.
Ce qui attire dans le shisei japonais,
c'est sa longue histoire
et son esthétique.
C'est aussi son approche du corps
et le fait de proposer des dessins qui vont l'embellir.
Les peuples qui ont découvert les premiers la beauté originelle du shisei sont les Japonais et les Polynésiens.
Les Polynésiens et les Micronésiens dans le Pacific Sud.
Ils ont créé des tatouages qui ornent parfaitement le corps.
Les tatouages tribaux.
Les tatouages tribaux d'aujourd'hui sont des copies de copies.
Des motifs dénués de sens.
À l'origine, les dessins étaient des symboles de sorcellerie
et étaient conçus pour correspondre parfaitement aux parties du corps, comme le visage et les bras.
Le shisei japonais est aussi conçu spécialement pour chaque partie du corps.
Ils ont été faits pour correspondre parfaitement à ces parties du corps.
Les Occidentaux ne connaissaient pas ça, c'est la raison pour laquelle ils se sont intéressés à la beauté pure,
et particulièrement celle du shisei japonais.
Le professeur Osamu Matsuda de l'Université d'Hosei était un expert du shisei japonais. Il est décédé.
Le professeur
aimait le shisei et est venu ici plusieurs fois.
Il disait : "Faites en sorte que le shisei
ne devienne jamais une pratique grand-public."
Le shisei doit être réservé aux quelques élus pour préserver sa valeur.
Qu'il devienne commun serait une insulte aux tatouages.
Ça compromettrait la valeur esthétique du shisei.
Je suis d'accord.
De nos jours, on voit des jeunes dans le train mettre en avant leurs tatouages tribaux, sur les bras
ou les mains.
Ou des présentateurs tatoués à la télé.
Comme le professeur le disait, c'est un manque de respect envers le shisei.
C'est évident que sa valeur esthétique a diminué.
Comme je le disais, un élément spirituel a été perdu parce que les artisans faisaient des détours.
La profondeur spirituelle est indispensable pour faire briller un shisei.
La lumière ne doit pas être le seul facteur.
Un shisei ne va pas véritablement briller sans élément d'ombre.
Le shisei ne peut pas révéler son réel attrait s'il est trop exposé à la lumière.
il faut qu'on ressente ce qu'il y a en dessous
pour réellement transmettre la beauté et l'histoire qu'il y a derrière.
C'est ce que je veux laisser derrière moi.
Je ne veux pas que les tatouages ne soient cantonnés à l'art.
Le vrai esthétisme du shisei japonais
requiert l'art et l'esprit.
Je ne pense pas pouvoir atteindre mon but un jour.
Je serai toujours insatisfait
mais dans le bon sens du terme.
Je ne pense pas que quiconque soit déjà mort comblé.
Mon but ultime est de mourir.
De mourir paisiblement.
Ce que je veux dire par là c'est que
j'espère que les gens vont considérer ma mort comme une grosse perte.